En mai 2025, IBM a annoncé le licenciement de 8 000 collaborateurs de ses départements RH, remplacés par des systèmes d’intelligence artificielle capables de gérer à grande échelle le sourcing, la présélection et même certains entretiens (Business Today, 2025). Quelques jours plus tard, Aravind Srinivas, PDG de Perplexity, allait encore plus loin : selon lui, « le travail d’un recruteur d’une semaine peut être réalisé par une seule requête IA », et d’ici six mois, les recruteurs humains pourraient devenir superflus.
Ces annonces spectaculaires soulèvent une question brûlante : faut-il encore recruter des recruteurs, à l’heure où l’IA prétend pouvoir absorber l’essentiel de leurs missions ?
Derrière l’effet d’annonce, la réalité est plus nuancée. Car si la technologie automatise une partie croissante du processus, le rôle du recruteur ne se limite pas à « exécuter des tâches ». Il consiste aussi à incarner un business partner, à challenger les managers, à structurer une stratégie de recrutement alignée sur les objectifs business et, surtout, à identifier les profils qui feront basculer une équipe dans une autre dimension. Autrement dit : quand faut-il recruter un recruteur, et pour quoi faire ?
1. L’IA rebat les cartes du recrutement : promesse d’efficacité ou perte de sens ?
Les annonces d’IBM et de Perplexity ont agi comme un électrochoc pour tout l’écosystème RH. En quelques mois, l’IA est passée du statut d’outil d’assistance à celui de menace potentielle pour des métiers entiers. Sourcing, qualification, rédaction d’offres, relances, suivi des candidatures : tout semble désormais automatisable.
Mais derrière cette promesse d’efficacité totale, un glissement s’opère. Le recrutement devient perçu comme un processus logistique, et non plus comme une décision stratégique.
Or, confier le recrutement à une IA, c’est lui demander d’optimiser une suite d’actions… pas de comprendre un contexte, une culture, ou une équipe.
C’est là toute l’ambiguïté :
👉 oui, une IA peut trouver les bons profils sur LinkedIn plus vite qu’un humain,
👉 mais non, elle ne peut pas encore comprendre pourquoi ce profil-là fera grandir l’équipe, inspirera les autres, ou incarnera la vision d’un projet.
Le risque, c’est de confondre la performance d’un système avec la pertinence d’un jugement.
Et dans un marché du travail en pleine mutation, cette nuance est capitale.
En réalité, cette révolution technologique ne signe pas la fin du métier de recruteur : elle en révèle la véritable nature.
Car plus les outils automatisent, plus la valeur se déplace vers ce qui ne peut pas l’être :
- comprendre le besoin réel derrière une fiche de poste,
- identifier les signaux faibles dans un échange,
- construire une expérience candidat cohérente avec la marque employeur,
- et aligner chaque embauche sur la stratégie business.
Autrement dit, l’IA ne remplace pas le recruteur : elle écarte les recruteurs “exécutants” pour ne laisser place qu’à ceux capables de penser le recrutement comme un levier de performance globale.
2. D’une compétence RH à un vrai métier : l’évolution du rôle de recruteur
Pendant longtemps, le recrutement a été considéré comme une simple sous-fonction des ressources humaines.
Un savoir-faire périphérique, que l’on pouvait confier à n’importe quel collaborateur « à l’aise avec les gens ».
Le fameux « Ah, tu es recruteur ? Donc tu fais des RH ? » résume à lui seul la perception dominante :
👉 une fonction administrative,
👉 peu liée à la performance business,
👉 et souvent vue comme un centre de coût plutôt qu’un levier de croissance.
Pourtant, les dernières années ont montré à quel point cette vision était datée.
En 2021, dans un contexte de rebond économique historique (+6,8 % de PIB), les entreprises ont recruté massivement, parfois dans l’urgence. Et c’est là que la valeur du recruteur est apparue au grand jour : sans talents, pas de croissance.
La demande a explosé, la rareté s’est installée, et les recruteurs sont devenus des profils convoités, parfois aussi difficiles à trouver que les développeurs qu’ils cherchaient.
Mais la crise des financements de 2023 a stoppé net cette dynamique.
Les entreprises tech ont gelé leurs embauches, les VC ont serré les budgets, et la question est revenue :
“Est-ce encore utile d’avoir un recruteur à plein temps dans l’équipe ?”
Ce cycle d’amour-désamour illustre bien le malentendu autour du métier.
Quand le marché est tendu, on glorifie le recruteur comme sauveur ; quand il ralentit, on le considère comme une charge.
En réalité, le problème n’est pas dans la fonction, mais dans la façon dont on la perçoit.
Recruter n’est pas une compétence RH parmi d’autres, c’est un métier stratégique à part entière — celui qui garantit l’adéquation entre la vision d’une entreprise et les personnes qui la réalisent.
Un bon recruteur ne se contente pas d’exécuter un process.
Il interprète un besoin, le challenge, et le traduit en plan d’action concret.
Il comprend le business, les enjeux de productivité, les contraintes de marché, et transforme une intention de recrutement en un investissement rentable.
C’est précisément cette évolution — du RH au business partner — qui redéfinit aujourd’hui la valeur du métier.
Et c’est à ce moment-là qu’il faut se poser la vraie question :
👉 quand faut-il recruter un recruteur ? Pas quand le besoin explose, mais quand le recrutement devient un facteur clé de performance.
3. La rentabilité d’un recruteur : un ROI qui dépasse le calcul comptable
Lorsque la question “faut-il recruter un recruteur ?” se pose, elle s’accompagne presque toujours d’une autre :
“Est-ce que ça vaut le coût ?”
La tentation est grande de réduire la rentabilité d’un recruteur à une équation simple :
salaire chargé du recruteur interne = X €
prime moyenne d’un cabinet de recrutement externe = Y €
→ il faut réaliser Z recrutements pour que le salaire du recruteur soit “rentable”.
Cette logique a le mérite d’être rationnelle.
Mais elle oublie une donnée essentielle : le recrutement n’est pas une mécanique, c’est un investissement humain et stratégique.
💡 Le calcul simpliste : une vision incomplète
Prenons un exemple : un recruteur interne coûte 60 000 € par an.
Un cabinet facture en moyenne 10 000 € par recrutement.
Le calcul rapide conclut qu’il faut six recrutements par an pour “rentabiliser” le poste.
En apparence logique, cette formule ne dit pourtant rien :
- du temps gagné par les managers,
- de la qualité des profils intégrés,
- ni de la stabilité qu’un bon recrutement apporte à l’équipe.
En d’autres termes, elle évalue un processus, pas une valeur créée.
🚀 Le vrai ROI : la qualité, pas la quantité
Un recruteur n’est pas rentable parce qu’il embauche beaucoup, mais parce qu’il embauche juste.
Quand une entreprise intègre un profil exceptionnel — celui qui tire une équipe vers le haut, structure un pôle ou fait décoller un produit — tout change : la performance, la cohésion, la vitesse d’exécution.
Un “top hire” n’est pas seulement un succès individuel, c’est un multiplicateur d’impact.
C’est la différence entre une croissance freinée et une organisation qui passe à l’échelle.
C’est ce que résume parfaitement la formule :
“Le vrai ROI d’un recruteur, c’est de trouver la meilleure personne pour le rôle.”
📊 Repenser la rentabilité : au-delà des chiffres
Pour évaluer la valeur réelle d’un recruteur, il faut intégrer d’autres dimensions :
| Dimension | Exemple concret | Impact |
| Temps gagné | Le manager se concentre sur l’opérationnel plutôt que sur le sourcing | Productivité immédiate |
| Qualité des recrutements | Moins de turnover, meilleure performance des équipes | Économies indirectes |
| Structuration des process | Scorecards, KPIs, feedbacks candidats | Gains d’efficacité durables |
| Marque employeur | Expérience candidat fluide et cohérente | Meilleure attractivité |
Ces éléments sont difficiles à chiffrer, mais déterminants pour le chiffre d’affaires et la marge de l’entreprise.
Car une équipe bien constituée coûte moins cher à long terme qu’une succession de recrutements ratés.
Et c’est précisément là que se situe le ROI d’un recruteur : dans la durabilité et la performance collective.
En somme, un recruteur ne se juge pas à la quantité de profils embauchés, mais à la valeur créée par ces recrutements.
Et cette valeur dépasse largement les chiffres : elle s’exprime dans la culture, la cohérence et la capacité d’une entreprise à grandir avec les bonnes personnes.
4. Le recruteur comme business partner : un levier stratégique, pas un centre de coût
S’il y a bien une erreur encore trop fréquente dans les entreprises, c’est de considérer le recruteur comme un exécutant : celui à qui l’on confie une fiche de poste pour qu’il “trouve des candidats”.
Cette posture purement opérationnelle alimente une perception erronée : celle du centre de coût.
Or, un bon recruteur n’est pas un technicien de la sélection.
C’est un partenaire de pilotage business, capable de challenger les besoins, d’anticiper les difficultés et d’éclairer la stratégie de croissance.
🎯 Aligner le recrutement sur la stratégie business
Chaque recrutement doit répondre à une question simple :
“Quel objectif business ce poste sert-il réellement ?”
Le rôle du recruteur est d’aider les dirigeants à clarifier cette réponse avant même d’ouvrir le poste.
Grâce à des outils comme la Scorecard, il peut :
- traduire un objectif stratégique en compétences mesurables,
- définir les priorités de recrutement,
- et s’assurer que chaque embauche sert la vision de l’entreprise.
En d’autres termes : le recruteur ne “remplit pas des postes”, il oriente les investissements humains.
📈 Appuyer les décisions sur la donnée
Un recruteur moderne ne se fie plus à son instinct seul — il pilote par les KPI.
Time-to-hire, taux de réponse, taux de conversion des entretiens, feedbacks candidats, qualité d’intégration à M+3 : tous ces indicateurs permettent d’anticiper, d’ajuster, et de rationaliser les décisions.
Cette approche data-driven transforme la posture :
👉 on ne “pense” plus qu’un recrutement sera difficile,
👉 on sait qu’il le sera, et on agit en conséquence.
Grâce à ces données, le recruteur devient un véritable capteur de signaux marché : il alerte sur la rareté des profils, ajuste le discours, et optimise les délais et les coûts.
🤝 Accompagner les managers dans le process
La mission d’un recruteur ne s’arrête pas à la sélection : il forme et élève le niveau de recrutement de toute l’organisation.
Cela passe par :
- la formation des hiring managers à la conduite d’entretien,
- la sensibilisation aux biais cognitifs (effet halo, biais d’affinité, confirmation),
- et le coaching continu pour améliorer les pratiques d’évaluation.
Ainsi, le recruteur agit comme un chef d’orchestre : il structure, aligne et fluidifie l’expérience de recrutement pour toutes les parties prenantes — candidats et managers.
🔄 Penser en solutions, pas en postes
Enfin, un business partner ne se limite pas au recrutement externe.
Il sait proposer des alternatives stratégiques :
- mobilité interne pour capitaliser sur les talents existants,
- freelance ou conseil pour répondre à des besoins ponctuels,
- ajustement du périmètre du poste pour coller au marché.
Cette approche pragmatique réduit les coûts, améliore la réactivité, et renforce la crédibilité du recruteur auprès de la direction.
💬 En bref : un bon recruteur, c’est celui qu’on appelle avant d’ouvrir un poste, pas après.
Parce qu’il ne recrute pas seulement des personnes — il protège la stratégie.
Conclusion – Faut-il encore recruter des recruteurs ?
Face à la montée en puissance de l’IA, la tentation est forte de croire que les recruteurs appartiennent au passé.
Après tout, si une machine peut sourcer, trier et planifier, pourquoi maintenir une fonction humaine coûteuse ?
Parce que recruter n’a jamais été une affaire d’exécution, mais une affaire de vision.
Ce n’est pas la tâche qu’on délègue qui compte, c’est l’intention qu’on poursuit.
⚙️ L’IA ne remplace pas, elle redéfinit
Oui, les outils d’automatisation vont continuer à bouleverser le quotidien des recruteurs.
Mais cette mutation ne signe pas la fin du métier — elle en trace les contours d’une nouvelle ère.
Le recruteur de demain ne sera pas remplacé par l’IA : il sera augmenté par elle.
Il saura l’utiliser pour éliminer les tâches à faible valeur ajoutée, tout en concentrant son énergie sur l’analyse, le conseil et la relation humaine.
Il ne passera plus ses journées à chercher, mais à comprendre — les enjeux, les contextes, les personnes.
💡 Du recruteur à l’architecte du talent
Les entreprises n’ont pas besoin de “plus” de recruteurs, mais de meilleurs recruteurs :
des professionnels capables de lire les signaux faibles, de piloter par la donnée et d’accompagner les dirigeants dans leurs décisions humaines.
Des profils hybrides, à la croisée du marketing, de la stratégie et de la psychologie.
Le recruteur de demain sera un architecte du talent, capable d’orchestrer l’IA, la data et l’intuition humaine pour construire les équipes qui font gagner.
🧭 En résumé
Faut-il encore recruter des recruteurs ?
➡️ Oui, mais plus pour exécuter.
➡️ Oui, mais plus pour “faire des entretiens”.
➡️ Oui, pour penser le recrutement comme un levier de croissance.
Les IA comme Comet ou ChatGPT automatiseront les gestes du métier.
Mais la responsabilité de choisir les bonnes personnes pour faire avancer le projet d’une entreprise restera, elle, fondamentalement humaine.C’est là toute la différence entre une machine qui trie des CV, et un recruteur qui fait grandir une équipe.

