Recruter son premier sales après une levée : le virage stratégique que trop d’entreprises sous-estiment

Antoine Gigomas

Antoine Gigomas

Lever des fonds ne garantit rien. C’est un accélérateur, pas une solution. 

Après la levée, un enjeu domine rapidement tous les autres : transformer ce financement en traction commerciale. Et très vite, deux questions reviennent : faut-il recruter un sales maintenant ? Et lequel ?

Parce que recruter un sales post-levée n’est jamais un réflexe. C’est un choix stratégique. Il dépend de la maturité de l’entreprise et du produit, de la réalité du funnel et de la capacité à passer d’un mode de vente exploratoire à un moteur commercial reproductible. 

Un choix qui ne supporte ni l’improvisation ni les décisions à l’intuition.


1. Le sales post-levée : un levier majeur (mais pas toujours le premier)

Beaucoup d’entreprises réagissent instinctivement : « Il nous faut un sales. »
Mais ce recrutement n’a d’impact que si la maturité est au rendez-vous, et ce n’est pas toujours le cas.

Certaines doivent d’abord consolider leur produit et investir dans la construction de leur offre. Pour elles, recruter un sales trop tôt n’a tout simplement pas d’effet : le terrain commercial n’existe pas encore.

Pour celles qui commencent à signer leurs premiers clients, ou pour les modèles intrinsèquement sales-led, la question est différente : comment transformer ces premiers signaux en croissance réelle ?

C’est là qu’intervient une règle fondamentale : tant que le CEO n’a pas vendu lui-même, recruter un sales est prématuré.

C’est à lui d’identifier les bons personas, de comprendre les objections, de tester les messages, d’éprouver les canaux et de mesurer les cycles de vente. Sans ce travail, un sales arrive « dans le flou » et ne peut pas donner sa pleine mesure.

Et les pièges ne varient guère :

  • attendre du premier sales qu’il construise tout (messages, process, go-to-market) ;
  • recruter trop vite ou trop large, parfois en passant de 1 à 10 sales sans playbook ni capacité d’onboarding.

👉 Résultat : baisse des conversions, périodes d’essai non validées, surcharge managériale.

S’ajoute une réalité souvent ignorée : les sales sont les profils les plus difficiles à évaluer. Ils savent vendre… donc se vendre. 

Et ils n’ont rien en commun :

  • Certains excellent dans le volume, les cold calls, le rythme.
  • D’autres performent dans la vente conseil, proche de l’ingénierie.

Sans vision claire, on se trompe facilement de profil.

C’est précisément pour cela que le bon timing est décisif : le moment de recruter n’est pas financier, il est opérationnel.


2. Identifier le bon profil : partir de la réalité du funnel, pas d’un fantasme de “bon vendeur”

Un sales performant n’est jamais un « bon vendeur » générique. C’est un profil qui s’insère dans votre mécanique commerciale.

Et cette mécanique, c’est votre funnel. Non pas un concept marketing, mais une vérité opérationnelle : l’endroit où vous créez de la valeur… et où vous en perdez.

Certaines entreprises génèrent beaucoup d’opportunités mais convertissent peu.
D’autres créent peu de leads mais affichent des taux de conversion et de rétention nettement supérieurs.

Ces réalités ne se pilotent pas de la même manière.
👉 À mécanique différente, profil sales différent.

C’est aussi pour cela que « splitter » trop tôt les rôles, par exemple recruter un BDR pour éviter la prospection, conduit souvent à des erreurs.
Le CEO doit d’abord passer par cette étape pour comprendre ce qui fonctionne réellement avant de déléguer.

À partir de là, deux grandes familles de profils se dessinent :

  • ceux qui exécutent (volume, rythme, prospection),
  • ceux qui accélèrent (analyse, vente complexe, design d’offre).

Le tout dépend du cycle de vente, du marché et de la maturité commerciale.

Pour éviter les faux pas, une règle fait ses preuves dans la plupart des cas : recruter quelqu’un qui a déjà performé dans un environnement similaire.

L’analyse concurrentielle est un excellent indicateur :

  • qui ont-ils recruté ?
  • qui sont leurs meilleurs performeurs ?
  • est-il possible de les attirer ?

Et lorsque ce n’est pas possible, viser des profils issus d’un univers sectoriel voisin — avec les mêmes personae et les mêmes codes — fonctionne tout aussi bien.

Identifier le bon profil, c’est savoir ce que votre funnel demande maintenant. Pas demain. Pas ailleurs.


3. Construire un process de recrutement prédictif : quand la méthode complète l’intuition

Un entretien brillant, c’est flatteur. Mais cela ne prédit rien.

Un recrutement de sales fiable commence toujours par un process qui réduit les biais.

Premier pilier : la vitesse du process.
Les recrutements les plus efficaces durent de 2 à 3 semaines. Passé ce délai, les candidats se désengagent et les acceptations chutent. 

Deuxième pilier : définir précisément le profil recherché — BDR, SDR, AE, AM — selon la complexité du cycle de vente, les canaux activés et les interlocuteurs visés. C’est à ce moment que la scorecard devient déterminante : elle fixe les compétences à évaluer. 

Troisième pilier : tester la réalité du poste.

  • Un cold call si la prospection téléphonique est centrale.
  • Un business case si la vente est complexe.
  • Et, pour un Head of Sales, un exercice stratégique du type : « Que fais-tu pendant tes 90 premiers jours ? ».

Les métiers commerciaux sont techniques ; leurs mises en situation doivent l’être tout autant.

Enfin, l’intuition doit toujours être confrontée aux chiffres.

👉 Quels sont les ratios du candidat ? Sa méthode ? Ses cycles ? Son taux de transformation ?

En quelques questions bien choisies, on voit immédiatement si l’expérience est solide… ou si elle tient surtout à une ligne de CV travaillée.


4. Onboarding et pilotage : sécuriser les 90 premiers jours

Un bon recrutement peut s’essouffler si les premières semaines ne sont pas structurées.

Les 90 premiers jours sont donc déterminants : c’est là que l’on voit réellement si un sales s’intègre, apprend vite et commence à générer ses premiers signaux d’impact.

Tout commence par des objectifs opérationnels nets : leads générés, rendez-vous obtenus, pipeline qui progresse. Le chiffre d’affaires n’est pas un indicateur pertinent si les cycles sont longs : il arrive trop tard pour guider le démarrage.

Ces indicateurs doivent être transparents et alignés avec les ratios réels de l’entreprise.

S’ajoute un suivi hebdomadaire exigeant :

  • un mois sans signaux positifs → ajustement immédiat ;
  • deux à trois mois sans amélioration → période d’essai à réévaluer.

Enfin, l’intégration joue un rôle clé : exposition au produit, cas clients, relations avec les équipes internes.

C’est dans ces interactions que ressortent les signaux vraiment révélateurs, notamment la curiosité et la capacité à comprendre rapidement le produit.

Quelques checkpoints simples (valeurs, compréhension du produit) permettent d’identifier ces signaux faibles très tôt.


5. Les règles d’or : ce qui fait réellement la différence

Recruter un sales après une levée, ce n’est pas étoffer une équipe : c’est prendre des décisions qui engagent la trajectoire commerciale. Trois règles s’imposent : 

1. Aligner les recrutements sur le rythme de croissance

Les entreprises financées doivent prouver qu’elles savent accélérer.

Le plan de recrutement annuel doit donc être calibré en conséquence, en intégrant une marge réaliste : environ 25 % des personnes recrutées ne seront pas conservées. Une vérité souvent ignorée… mais structurante.

2. Recruter par “batch” pour créer l’émulation

Embaucher plusieurs sales du même profil, au même moment, change la dynamique :

  • onboarding homogène,
  • montée en puissance collective,
  • stabilisation plus rapide des performances.

À condition, évidemment, que l’entreprise soit en mesure de former et d’encadrer plusieurs profils simultanément.

3. Ne garder que les talents performants et alignés

⚠️ Performant mais dont le comportement dégrade la dynamique collective : risqué. 

🐌 Aligné mais insuffisant : ralentisseur.

✅ Performant et aligné : ce sont ces profils-là qui tirent véritablement l’équipe vers le haut.

Enfin, l’erreur la plus coûteuse est toujours la même : attendre.

Le vrai prix d’un mauvais recrutement dépasse largement six mois de salaire :

  • temps perdu,
  • opportunités de recrutement manquées,
  • culture fragilisée,
  • équipe démotivée.

Dans une équipe commerciale, tout le monde sait très vite qui ne performe pas.

La vraie question est :  « Combien de temps faudra-t-il au CEO pour agir ? »


Conclusion : après une levée, le recrutement d’un sales n’est pas une étape. C’est un tournant.

Recruter un sales après une levée n’est jamais un automatisme. C’est un acte stratégique qui révèle la maturité réelle de l’entreprise : sait-elle ce qu’elle vend, à qui, et comment transformer ses premières preuves en traction durable ?

La réussite repose sur cinq piliers : un funnel maîtrisé, un profil adapté, un process prédictif, un onboarding structuré et une discipline managériale sans ambiguïté. À l’inverse, la précipitation comme l’inaction coûtent cher : en performance, en culture et en dynamique collective.

Les entreprises qui tirent pleinement parti de leur levée ne cherchent pas un « bon sales », mais le bon sales pour leur contexte, au moment exact où elles sont prêtes à l’intégrer et à l’accompagner.

La croissance ne vient pas avec la levée. Elle vient avec la capacité à recruter – et à décider – avec clairvoyance.

Antoine Gigomas

Antoine Gigomas

Antoine est le fondateur de Muzzo, la plateforme n°1 pour la chasse de têtes en France.

Avant Muzzo, il dirigeait les équipes de recrutement pour le Groupe Theodo. Son challenge de l’époque : recruter plus de 150 profils tech, commerciaux et C-level par an !

Cette expérience le pousse ensuite à créer Muzzo avec un objectif clair : réduire drastiquement les délais pour trouver et recruter le profil idéal.

Issu d'une formation littéraire et diplômé de l’ESCP Business School, Antoine s’est donné une mission : aider les entreprises à évoluer plus rapidement en accélérant leurs recrutements stratégiques.

Partagez sur :
LinkedIn
Facebook
WhatsApp

Vous aimerez aussi...

De recruteur à acteur stratégique : les conseils de Louis Le Mouel pour réussir en Talent Acquisition 

Dans un marché où la compétition pour les talents s’intensifie, le rôle du recruteur a profondément évolué. Longtemps perçue comme une fonction de support, l’acquisition de talents s’impose désormais comme un levier stratégique de croissance. Face à des profils de plus en plus sollicités, le Talent Acquisition (TA) ne se contente plus de “gérer des process” : […]

Est-ce qu’il faut encore recruter des recruteurs ?

En mai 2025, IBM a annoncé le licenciement de 8 000 collaborateurs de ses départements RH, remplacés par des systèmes d’intelligence artificielle capables de gérer à grande échelle le sourcing, la présélection et même certains entretiens (Business Today, 2025). Quelques jours plus tard, Aravind Srinivas, PDG de Perplexity, allait encore plus loin : selon lui, « […]

L’Auditeur de Fiche de Poste Muzzo

Le point de départ d’un recrutement réussi Le marché du recrutement n’a jamais été aussi exigeant. En 2024, plus de 11,4 millions d’offres d’emploi ont été publiées en France d’après France Travail. Pourtant, une sur deux reste difficile à pourvoir.Le problème ne vient pas toujours du manque de candidats, mais souvent de la fiche de […]

Inscription newsletter recrutement